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CJUE, 9 janvier 2015, aff. C-498/14 PPU, David Bradbrooke c/ Anna Aleksandrowicz

 

 

ARRET DE LA COUR (quatrième chambre)

9 janvier 2015 (*)

 

 

«Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Enlèvement d’enfant – Règlement (CE) no 2201/2003 – Article 11, paragraphes 7 et 8»

Dans l’affaire C‑498/14 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 7 novembre 2014, parvenue à la Cour le 10 novembre 2014, dans la procédure

David Bradbrooke

contre

Anna Aleksandrowicz,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, Mme K. Jürimaë, MM. J. Malenovský, M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 7 novembre 2014, parvenue à la Cour le 10 novembre 2014, de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 18 novembre 2014 de la quatrième chambre de faire droit à cette demande,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, M. J.-C. Halleux et Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1, ci-après le «règlement»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Bradbrooke à Mme Aleksandrowicz au sujet de la responsabilité parentale à l’égard de leur fils Antoni, retenu en Pologne par Mme Aleksandrowicz.

 Le cadre juridique

 La convention de La Haye de 1980

3        L’article 3 de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue le 25 octobre 1980 à La Haye (ci-après la «convention de La Haye de 1980»), stipule:

«Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite:

a)       lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour; et

b)       que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.»

4        L’article 12 de ladite convention est libellé comme suit:

«Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

[...]»

5        L’article 13 de la convention de La Haye de 1980 prévoit:

«Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit:

a)      que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour; ou

b)      qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

[...]»

6        La convention de La Haye de 1980 est entrée en vigueur le 1er décembre 1983. Tous les États membres de l’Union européenne sont parties contractantes à celle-ci.

 Le droit de l’Union

7        Les considérants 12, 17, 18 et 33 du règlement sont libellés comme suit:

«(12)      Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.

[...]

(17)      En cas de déplacement ou de non-retour illicite d’un enfant, son retour devrait être obtenu sans délai et à ces fins la convention de La Haye [de 1980] devrait continuer à s’appliquer telle que complétée par les dispositions de ce règlement et en particulier de l’article 11. Les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a été déplacé ou retenu illicitement devraient être en mesure de s’opposer à son retour dans des cas précis, dûment justifiés. Toutefois, une telle décision devrait pouvoir être remplacée par une décision ultérieure de la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement ou non-retour illicites. Si cette décision implique le retour de l’enfant, le retour devrait être effectué sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure pour la reconnaissance et l’exécution de ladite décision dans l’État membre où se trouve l’enfant enlevé.

(18)      En cas de décision de non-retour rendue en vertu de l’article 13, de la convention de La Haye de 1980, la juridiction devrait en informer la juridiction compétente ou l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour illicites. Cette juridiction, si elle n’a pas encore été saisie, ou l’autorité centrale, devrait adresser une notification aux parties. Cette obligation ne devrait pas empêcher l’autorité centrale d’adresser également une notification aux autorités publiques concernées conformément au droit national.

[...]

(33)      Le présent règlement reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la «Charte»]. Il veille notamment à assurer le respect des droits fondamentaux de l’enfant tels qu’énoncés à l’article 24 de la [Charte].»

8        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement dispose:

«1.      Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives:

[...]

b)      à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2.      Les matières visées au paragraphe 1, point b), concernent notamment:

a)      le droit de garde et le droit de visite;

[...]»

9        Aux termes de l’article 2 du règlement:

«Aux fins du présent règlement on entend par:

1)      ‘juridiction’ toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d’application du présent règlement en vertu de l’article 1er;

[...]

7)      ‘responsabilité parentale’ l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite;

8)      ‘titulaire de la responsabilité parentale’ toute personne exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant;

9)      ‘droit de garde’ les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence;

10)      ‘droit de visite’ notamment le droit d’emmener l’enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle;

11)      ‘déplacement ou non-retour illicites d’un enfant’ le déplacement ou le non-retour d’un enfant lorsque:

a)      il a eu lieu en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur en vertu du droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour

et

b)      sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l’un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l’enfant sans le consentement d’un autre titulaire de la responsabilité parentale.»

10      L’article 8 du règlement, intitulé «Compétence générale», prévoit:

«1.      Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2.      Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12.»

11      L’article 11 du règlement, intitulé «Retour de l’enfant», est ainsi rédigé:

«1.      Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye [de 1980] en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.

[...]

3.      Une juridiction saisie d’une demande de retour d’un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national.

Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.

[...]

6.      Si une juridiction a rendu une décision de non-retour en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement, soit directement soit par l’intermédiaire de son autorité centrale, transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents, en particulier un compte rendu des audiences, à la juridiction compétente ou à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. La juridiction doit recevoir tous les documents mentionnés dans un délai d’un mois à compter de la date de la décision de non-retour.

7.      À moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies par l’une des parties, la juridiction ou l’autorité centrale qui reçoit l’information visée au paragraphe 6 doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, conformément aux dispositions du droit national, dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification, afin que la juridiction examine la question de la garde de l’enfant.

Sans préjudice des règles en matière de compétence prévues dans le présent règlement, la juridiction clôt l’affaire si elle n’a reçu dans le délai prévu aucune observation.

8.      Nonobstant une décision de non-retour rendue en application de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, toute décision ultérieure ordonnant le retour de l’enfant rendue par une juridiction compétente en vertu du présent règlement est exécutoire conformément au chapitre III, section 4, en vue d’assurer le retour de l’enfant.»

12      L’article 15 du règlement, intitulé «Renvoi à une juridiction mieux placée pour connaître de l’affaire», dispose à son paragraphe 1:

«À titre d’exception, les juridictions d’un État membre compétentes pour connaître du fond peuvent, si elles estiment qu’une juridiction d’un autre État membre avec lequel l’enfant a un lien particulier est mieux placée pour connaître de l’affaire, ou une partie spécifique de l’affaire, et lorsque cela sert l’intérêt supérieur de l’enfant:

a)      surseoir à statuer sur l’affaire ou sur la partie en question et inviter les parties à saisir d’une demande la juridiction de cet autre État membre conformément au paragraphe 4, ou

b)      demander à la juridiction d’un autre État membre d’exercer sa compétence conformément au paragraphe 5.»

 Le droit belge

13      L’article 1322 decies du code judiciaire, tel que modifié par la loi du 30 juillet 2013 portant création du tribunal de la famille (ci-après le «code judiciaire»), est ainsi rédigé:

«§ 1er.       La décision de non-retour de l’enfant rendue à l’étranger, ainsi que les documents qui l’accompagnent, transmis à l’Autorité centrale belge en application de l’article 11, 6, du Règlement du Conseil visé à l’article 1322 bis, 3°, sont envoyés par lettre recommandée au greffier du tribunal de première instance qui est établi au siège de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicite.

§ 2.       Dès réception des pièces et au plus tard dans les trois jours ouvrables, le greffier notifie par pli judiciaire aux parties et au ministère public, l’information contenue à l’article 11, 7 du Règlement du Conseil visé au § 1er. Le pli judiciaire contient les mentions suivantes:

1°       le texte de l’article 11 du Règlement du Conseil visé à l’article 1322 bis, 3°;

2°      une invitation aux parties à déposer des conclusions au greffe, dans les trois mois de la notification. Le dépôt de ces conclusions opère saisine du tribunal de la famille de première instance.

§ 3.       Si l’une au moins des parties dépose des conclusions, le greffier convoque immédiatement les parties à la première audience utile.

§ 4.       La saisine du tribunal de la famille opère suspension des procédures engagées devant les cours et tribunaux, saisis d’un litige en matière de responsabilité parentale ou d’un litige connexe.

§ 5.       À défaut pour les parties de présenter des observations au tribunal dans le délai prévu au § 2, 2, le tribunal de la famille rend une ordonnance le constatant, qui est notifiée par le greffier aux parties, à l’Autorité centrale et au ministère public.

§ 6.       La décision rendue sur la question de la garde de l’enfant en application de l’article 11, 8 du Règlement du Conseil visé au § 1er, peut également, à la demande de l’une des parties, porter sur le droit de visite dans l’hypothèse où elle ordonnerait le retour de l’enfant en Belgique.

§ 7.       La décision visée au § 6 est notifiée par le greffier aux parties, au ministère public et à l’Autorité centrale belge par pli judiciaire.

§ 8.       L’autorité centrale belge est seule habilitée à assurer la transmission de la décision et des pièces qui l’accompagnent aux Autorités compétentes de l’État dans lequel la décision de non-retour a été rendue.

§ 9.       Pour l’application de l’article 11, 7 et 8, du Règlement du Conseil visé au § 1er, il est procédé à l’audition de l’enfant conformément à l’article 42, 2, a), dudit Règlement et au Règlement (CE) n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      Antoni est un enfant né en Pologne, le 21 décembre 2011, d’une liaison entre Mme Aleksandrowicz, de nationalité polonaise, et M. Bradbrooke, de nationalité britannique, résidant en Belgique.

15      La mère et l’enfant se sont installés à Bruxelles (Belgique) au cours des mois de juillet et d’août 2012, lorsque l’enfant était âgé de sept mois. À compter de leur installation, l’enfant était domicilié avec sa mère et rencontrait son père régulièrement.

16      Le père et la mère ont participé, aux mois d’août et de septembre 2013, à une médiation locale en vue de s’accorder sur le partage de l’hébergement de l’enfant, mais aucun accord n’a été conclu.

17      Le 16 octobre 2013, la mère a annoncé au père qu’elle partait en vacances avec l’enfant en Pologne.

18      Par requête déposée le 18 octobre 2013, le père a saisi le tribunal de la jeunesse de Bruxelles en vue d’entendre statuer, notamment, sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur l’hébergement de l’enfant.

19      Par citation du 23 octobre 2013, le père a également saisi le juge des référés d’une demande urgente et provisoire tendant à la fixation d’un hébergement secondaire de l’enfant chez lui.

20      Quand le père a compris que la mère n’avait pas l’intention de rentrer en Belgique avec l’enfant commun, il a modifié ses demandes devant le juge des référés et devant le tribunal de la jeunesse de Bruxelles et a sollicité, notamment, l’exercice exclusif de l’autorité parentale, l’hébergement principal de l’enfant et qu’interdiction soit faite à la mère de quitter le territoire belge avec l’enfant. De son côté, la mère a contesté la compétence internationale des juridictions belges, sollicitant l’application de l’article 15 du règlement et le renvoi de la cause vers les juridictions polonaises qui présentent un lien particulier avec la situation de l’enfant dès lors que celui-ci réside en Pologne et a été entre-temps inscrit à l’école maternelle.

21      Par ordonnance du 19 décembre 2013, le juge des référés s’est déclaré compétent et a, à titre provisoire et au bénéfice de l’urgence, fait droit aux demandes du père.

22      Par jugement du 26 mars 2014, le tribunal de la jeunesse de Bruxelles, après avoir confirmé sa compétence, a jugé que l’autorité parentale sera exercée conjointement par les parents, a confié à la mère l’hébergement principal de l’enfant et a octroyé au père, à titre précaire, un hébergement secondaire d’un week-end sur deux, à charge pour lui de se rendre en Pologne.

23      Considérant que ce jugement validait le déplacement illicite de l’enfant commun vers la Pologne et reconnaissait une conséquence juridique positive à cette voie de fait, le père a interjeté appel dudit jugement devant la cour d’appel de Bruxelles, demandant, à titre principal, l’exercice exclusif de l’autorité parentale ainsi que l’hébergement principal de l’enfant.

24      Parallèlement à la procédure au fond devant les juridictions belges, le père a, le 20 novembre 2013, saisi l’autorité centrale belge d’une demande tendant au retour immédiat de l’enfant en Belgique selon la procédure de retour organisée par la convention de La Haye de 1980.

25      Le 13 février 2014, le tribunal de district de Płońsk (Pologne) a constaté le déplacement illicite de l’enfant par sa mère et l’existence de la résidence habituelle de l’enfant en Belgique avant son déplacement. Le tribunal a néanmoins décidé de rendre une décision de non-retour de l’enfant fondée sur l’article 13, sous b), de la convention de La Haye de 1980.

26      L’autorité centrale belge, qui a reçu de l’autorité centrale polonaise une copie de ladite décision de non-retour et des documents pertinents, a déposé ce dossier, le 10 avril 2014, au greffe du tribunal de première instance francophone de Bruxelles qui a invité les parties à déposer des conclusions. Le dépôt de conclusions par le père devant cette juridiction, le 9 juillet 2014, a opéré la saisine du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, qui était compétent, conformément à l’article 1322 decies du code judiciaire, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2013 portant création du tribunal de la famille, pour examiner la question de la garde de l’enfant, conformément à l’article 11, paragraphes 6 et 7, du règlement. En vertu de l’article 1322 decies du code judiciaire, la saisine de ladite juridiction entraîne la suspension des procédures engagées devant les cours et les tribunaux saisis d’un litige en matière de responsabilité parentale ou d’un litige connexe. À la suite de l’entrée en vigueur de ladite loi, l’affaire a été réattribuée au tribunal de la famille de Bruxelles.

27      Par arrêt interlocutoire du 30 juillet 2014, prononcé par défaut à l’égard de la mère, la cour d’appel de Bruxelles a confirmé le jugement rendu par le tribunal de la jeunesse de Bruxelles en ce qu’il a constaté la compétence internationale de la juridiction belge pour statuer au fond sur les questions relatives à la responsabilité parentale. En revanche, constatant que le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles avait entre-temps été saisi par les parties d’une demande fondée sur l’article 11, paragraphes 6 et 7, du règlement, ladite cour d’appel a sursis à statuer sur le fond du litige et a demandé à l’autorité centrale de Belgique de verser au dossier de la procédure dont elle est saisie l’entièreté du dossier que cette autorité avait déposé, en application de l’article 1322 decies du code judiciaire, au greffe du tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Enfin, en attendant l’issue, devant ce tribunal, de la procédure visée à l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement, la cour d’appel de Bruxelles a statué de manière provisoire et a ordonné à la mère de communiquer au père l’adresse de son nouveau lieu de résidence avec l’enfant et a fixé les modalités de l’exercice du droit de visite du père à l’égard de l’enfant.

28      La mère refusant de communiquer l’adresse où elle réside avec l’enfant, le père n’a pas pu jouir du droit de visite que la cour lui avait accordé.

29      Parallèlement aux procédures menées en Belgique par le père, la mère a introduit en Pologne diverses actions en justice relatives à la responsabilité parentale. Les juridictions polonaises, après avoir constaté que le tribunal belge avait été saisi en premier et avait reconnu sa compétence internationale, se sont estimées incompétentes en la matière.

30      Par jugement définitif prononcé le 8 octobre 2014, le tribunal de la famille de Bruxelles a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Bruxelles, au motif que les juridictions belges avaient été saisies par le père avant le déplacement illicite de l’enfant au sens de l’article 11, paragraphe 7, du règlement et que le débat au fond était pendant devant ladite cour d’appel.

31      La cour d’appel de Bruxelles estime que, selon le droit belge, elle ne peut se considérer comme saisie de la procédure visée à l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement par le jugement de renvoi prononcé par le tribunal de la famille de Bruxelles le 8 octobre 2014. Ladite cour d’appel considère en effet qu’elle ne pourrait être saisie de cette procédure que par un appel que formerait une partie contre ce jugement.

32      Cette juridiction se demande si, compte tenu des exigences de célérité et d’efficacité auxquelles doit obéir la procédure visée à l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement, le paragraphe 7 de cet article s’oppose à ce que le droit d’un État membre attribue à une juridiction spécialisée la compétence exclusive pour connaître de cette procédure et dispose par la même occasion que toutes les procédures relatives à l’autorité parentale engagées devant une cour ou un tribunal seront suspendues dès l’instant où la saisine de cette juridiction est opérée.

33      Ainsi, la cour d’appel de Bruxelles estime qu’il convient de saisir la Cour d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement, afin de pouvoir déterminer la juridiction belge compétente au titre du droit de l’Union et, en particulier, pour décider s’il appartient à cette même cour d’appel, saisie de la procédure au fond relative à la responsabilité parentale, de statuer conformément à la procédure visée à l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement.

34      Dans ces conditions, la cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement peut-il être interprété comme s’opposant à ce qu’un État membre:

–        privilégie la spécialisation des juridictions dans les situations d’enlèvement parental pour la procédure prévue par ces dispositions, même lorsqu’une cour ou un tribunal est déjà saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant?

–        retire au juge saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, la compétence de statuer sur la garde de l’enfant, alors qu’il est compétent tant sur le plan international que sur le plan interne pour statuer sur les questions de responsabilité parentale à l’égard de l’enfant?»

 Sur la procédure préjudicielle d’urgence

35      La cour d’appel de Bruxelles a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour, en raison de l’extrême urgence de l’affaire au principal. En effet, celle-ci concernerait l’exercice de l’autorité parentale et la garde de l’enfant dans un contexte où il y aurait un risque de détérioration irréparable du lien entre le père et le fils, ce dernier demeurant actuellement privé de contacts avec son père.

36      Il convient de constater, en premier lieu, que le renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation du règlement qui a été adopté en particulier sur le fondement de l’article 61, sous c), CE, désormais article 67 TFUE, qui figure au titre V de la troisième partie du traité FUE, relative à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, de sorte que ledit renvoi relève du champ d’application de la procédure d’urgence défini à l’article 107 du règlement de procédure.

37      En second lieu, il ressort de la décision de renvoi que Mme Aleksandrowicz refuse de se conformer à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bruxelles, le 30 juillet 2014, par lequel cette dernière a, d’une part, ordonné à Mme Aleksandrowicz de communiquer à M. Bradbrooke, dans les huit jours de la communication dudit arrêt, l’adresse de son nouveau lieu de résidence avec l’enfant et, d’autre part, dit pour droit que M. Bradbrooke exercera un droit de visite à l’égard d’Antoni, sous réserve d’un autre accord entre les parties, un week-end sur trois.

38      À cet égard, il importe de relever que la présente affaire concerne un enfant âgé de trois ans, qui est séparé de son père depuis plus d’un an. Dès lors, la prolongation de la situation actuelle, caractérisée de surcroît par la distance importante séparant la résidence du père de la demeure de l’enfant, pourrait nuire sérieusement à la relation future de ce dernier avec son père.

39      Dans ces conditions, la quatrième chambre de la Cour a, sur le fondement de l’article 108 du règlement de procédure, décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence.

 Sur la question préjudicielle

40      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre attribue à une juridiction spécialisée la compétence pour examiner les questions du retour ou de la garde de l’enfant dans le cadre de la procédure prévue par ces dispositions, même lorsqu’une cour ou un tribunal est déjà, par ailleurs, saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant.

41      Il convient de rappeler que le règlement n’a pas pour objet d’unifier les règles de droit matériel et de procédure des différents États membres. Cependant, l’application de ces règles nationales ne doit pas porter atteinte à l’effet utile de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt Rinau, C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 82).

42      Dans le présent contexte, il convient également de souligner qu’il découle du considérant 33 du règlement que celui-ci reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la Charte en veillant, notamment, à assurer le respect des droits fondamentaux de l’enfant, tels qu’énoncés à l’article 24 de celle-ci, dont, notamment le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents (voir, en ce sens, arrêt McB, C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 60).

43      Aux termes de l’article 11, paragraphe 6, du règlement, si, à la suite d’un enlèvement d’enfant, une juridiction rend une décision de non-retour en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents à la juridiction compétente ou à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. Il y a lieu de relever que le renvoi exprès au droit national indique notamment qu’il appartient à l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement de déterminer, dans le respect des objectifs du règlement, la juridiction compétente pour statuer sur la question du retour de l’enfant, consécutive à une décision de non-retour rendue dans l’État membre vers lequel il a été enlevé.

44      S’agissant de l’article 11, paragraphe 7, du règlement, il prévoit que, lorsqu’une décision judiciaire de non-retour a été adoptée, à moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies, la juridiction ou l’autorité centrale qui reçoit l’information relative à cette décision judiciaire doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, afin que celle-ci examine la question de la garde de l’enfant. Or, ni ladite disposition du règlement ni l’article 11, paragraphe 6, de celui-ci, n’identifie la juridiction nationale compétente pour examiner la question de la garde de l’enfant à la suite d’une décision de non-retour. Il en va de même s’agissant du paragraphe 8 de cet article.

45      À cet égard, si, conformément à l’article 11, paragraphe 7, du règlement, cette juridiction ou l’autorité centrale doit notifier aux parties notamment une copie de la décision de non-retour rendue en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, en vue de permettre, le cas échéant, l’examen de la question de la garde de l’enfant, à moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies, le point de savoir si, lorsqu’une telle saisine a eu lieu, la juridiction déterminée comme compétente par l’État membre pour ledit examen perd sa compétence au profit d’autres juridictions de ce même État membre relève du droit national.

46      En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de sa prise de position, l’article 11, paragraphe 7, du règlement constitue non pas une norme tendant à déterminer la juridiction compétente, mais plutôt une norme à caractère technique ayant principalement pour objet de déterminer les modalités de notification des informations relatives à la décision de non-retour.

47      Par ailleurs, il peut être rappelé que, conformément à la jurisprudence de la Cour, il ne saurait être déduit de l’article 11, paragraphe 7, du règlement qu’une décision sur la garde de l’enfant constitue nécessairement une condition préalable à l’adoption, le cas échéant, d’une décision ordonnant le retour de l’enfant. En effet, cette dernière décision intermédiaire sert également la réalisation de l’objectif des procédures administratives et judiciaires, à savoir la régularisation de la situation de l’enfant (voir, en ce sens, arrêt Povse, C-211/10 PPU, EU:C:2010:400, point 53).

48      Si le gouvernement belge fait valoir que, selon le droit procédural national, la juridiction spécialisée saisie de la question du retour de l’enfant en application de l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement pouvait, à la demande de l’une des parties, renvoyer l’affaire à la cour d’appel saisie du fond du litige relatif à la responsabilité parentale pour que cette dernière se prononce sur cette question du retour ainsi que sur la question de la garde de l’enfant, ce point concerne l’interprétation du droit national et ne relève pas de la compétence de la Cour. Il appartient dès lors aux juridictions belges de se prononcer sur ledit point.

49      Il découle de ce qui précède que la détermination de la juridiction nationale compétente pour examiner les questions du retour ou de la garde de l’enfant dans le cadre de la procédure visée à l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement relève du choix des États membres, et ce même dans l’hypothèse où à la date de la notification de la décision de non-retour d’un enfant une cour ou un tribunal est déjà saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de cet enfant.

50      Cependant, ainsi qu’il ressort du point 41 du présent arrêt, un tel choix ne doit pas porter atteinte à l’effet utile du règlement.

51      Or, le fait, pour un État membre, d’attribuer à une juridiction spécialisée la compétence pour examiner les questions du retour ou de la garde de l’enfant dans le cadre de la procédure prévue à l’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement, même lorsqu’une cour ou un tribunal est déjà, par ailleurs, saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, ne saurait, en tant que tel, porter atteinte à l’effet utile du règlement.

52      Toutefois, il convient de veiller à ce que, dans une hypothèse telle que celle en cause dans l’affaire au principal, une telle attribution de compétence soit en accord avec les droits fondamentaux de l’enfant tels qu’énoncés à l’article 24 de la Charte et, en particulier, avec l’objectif de célérité de ces procédures.

53      En ce qui concerne l’objectif de célérité, il convient de rappeler que, en appliquant les dispositions de droit interne pertinentes, la juridiction nationale appelée à les interpréter est tenue de le faire à la lumière du droit de l’Union et notamment du règlement.

54      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un État membre attribue à une juridiction spécialisée la compétence pour examiner les questions du retour ou de la garde de l’enfant dans le cadre de la procédure prévue par ces dispositions, même lorsqu’une cour ou un tribunal est déjà, par ailleurs, saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 11, paragraphes 7 et 8, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un État membre attribue à une juridiction spécialisée la compétence pour examiner les questions du retour ou de la garde de l’enfant dans le cadre de la procédure prévue par ces dispositions, même lorsqu’une cour ou un tribunal est déjà, par ailleurs, saisi d’une procédure au fond relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant.

Signatures


* Langue de procédure: le français.

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