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CJUE, 14 décembre 2006, aff. C-283/05, ASML Netherlands BV c/ Semiconductor Industry Services GmbH (SEMIS)

 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 décembre 2006

Affaire C-283/05

ASML Netherlands BV

contre

Semiconductor Industry Services GmbH (SEMIS)

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof)

«Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement (CE) nº 44/2001 — Reconnaissance et exécution — Article 34, point 2 — Décision rendue par défaut — Motif de refus — Notion de défendeur défaillant 'en mesure' d'exercer un recours contre la décision — Défaut de signification et de notification de celle-ci»

Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 28 septembre 2006 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 décembre 2006 

 

Sommaire de l'arrêt

Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001

(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 34, point 2)

L'article 34, point 2, du règlement nº 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'un défendeur ne saurait être «en mesure» d'exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre que s'il a eu effectivement connaissance du contenu de celle-ci, par voie de signification ou de notification effectuée en temps utile pour lui permettre de se défendre devant le juge de l'État d'origine.

En effet, la possibilité pour le défendeur d'exercer un recours effectif requiert qu'il puisse prendre connaissance des motifs de la décision rendue par défaut afin de pouvoir les contester utilement, la simple connaissance de l'existence de cette décision ne suffisant pas à cet égard.

Toutefois, la signification ou la notification régulière de la décision rendue par défaut, à savoir le respect de toutes les règles applicables à ces formalités, ne constitue pas une condition nécessaire pour que le défendeur soit considéré comme ayant été en mesure d'exercer un recours. À cet égard, l'économie du règlement nº 44/2001 ne requiert pas de soumettre la signification ou la notification d'une décision rendue par défaut à des conditions plus strictes que celles prévues en ce qui concerne la signification ou la notification d'un acte introductif d'instance. En effet, c'est dans la même mesure que la signification ou la notification de l'acte introductif d'instance et celle de la décision rendue par défaut, intervenues en temps utile et de telle manière que le défendeur puisse se défendre, confèrent à ce dernier la possibilité de veiller au respect de ses droits devant le juge de l'État d'origine. Or, en ce qui concerne l'acte introductif d'instance, l'article 34, point 2, du règlement nº 44/2001 supprime la condition nécessaire de régularité formelle énoncée à l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles. Partant, une simple irrégularité formelle, qui ne porte pas atteinte aux droits de la défense, ne saurait suffire à écarter l'application de l'exception au motif justifiant le défaut de reconnaissance ou d'exécution.

(cf. points 34-35, 41, 43-47, 49 et disp.)

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 décembre 2006

 

«Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (CE) n° 44/2001 – Reconnaissance et exécution – Article 34, point 2 – Décision rendue par défaut – Motif de refus – Notion de défendeur défaillant ‘en mesure’ d’exercer un recours contre la décision – Défaut de signification et de notification de celle-ci»

Dans l’affaire C-283/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 68 CE et 234 CE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décision du 30 juin 2005, parvenue à la Cour le 14 juillet 2005, dans la procédure

ASML Netherlands BV

contre

Semiconductor Industry Services GmbH (SEMIS),

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. K. Lenaerts (rapporteur), J. N. Cunha Rodrigues, M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour ASML Netherlands BV, par Me J. Leon, Rechtsanwalt,

–       pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et C. ten Dam ainsi que par M. M. de Grave, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement polonais, par M. T. Nowakowski, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme T. Harris, en qualité d’agent, assistée de Mme K. Bacon, barrister,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët ainsi que par MM. W. Bogensberger et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 septembre 2006,

rend le présent

 

Arrêt

 

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 34, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ASML Netherlands BV (ci-après «ASML»), société établie à Veldhoven (Pays-Bas), à Semiconductor Industry Services GmbH (ci-après «SEMIS»), société établie à Feistritz-Drau (Autriche), à propos de l’exécution, en Autriche, d’un jugement rendu par défaut par le Rechtbank’ s-Hertogenbosch (Pays-Bas) condamnant SEMIS à verser à ASML la somme de 219 918,60 euros ainsi que les intérêts y afférents et les frais de procédure.

 

 Le cadre juridique

 

 Le règlement n° 44/2001

3       L’article 26, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 44/2001 dispose:

«1.      Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, le juge se déclare d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement.

2.      Le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin.»

4       En vertu de l’article 26, paragraphe 3, dudit règlement, l’article 19 du règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (JO L 160, p. 37), s’applique, en lieu et place du paragraphe 2 dudit article 26, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis d’un État membre à un autre en exécution de ce règlement.

5       Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, «[l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure».

6       Toutefois, l’article 34, point 2, dudit règlement dispose qu’une décision n’est pas reconnue si «l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire».

 Le règlement n° 1348/2000

7       L’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1348/2000 est libellé comme suit:

«Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification selon les dispositions du présent règlement et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi:

a)      ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon les formes prescrites par la législation de l’État membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire;

b)      ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement

et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

8       Par jugement du 16 juin 2004, le Rechtbank’ s-Hertogenbosch a condamné par défaut SEMIS à payer à ASML la somme de 219 918,60 euros, majorée des intérêts et des frais de procédure (ci-après le «jugement par défaut»).

9       Il ressort de la décision de renvoi que, d’une part, l’assignation à comparaître à l’audience devant le Rechtbank’ s-Hertogenbosch, fixée par ce dernier au 19 mai 2004, n’a été signifiée à SEMIS que le 25 mai 2004 et, d’autre part, le jugement par défaut n’a pas été signifié ni notifié à cette dernière.

10     Sur la demande d’ASML, la force exécutoire du jugement par défaut a été reconnue par ordonnance du 20 décembre 2004 du Bezirksgericht Villach (Autriche), tribunal requis en première instance, au vu d’un certificat établi par le Rechtbank’ s-Hertogenbosch le 6 juillet 2004, déclarant ce jugement «exécutoire par provision». L’exécution forcée de celui-ci a également été ordonnée par ledit tribunal.

11     Une expédition de cette ordonnance a été notifiée à SEMIS. Le jugement par défaut n’était pas joint à cette notification.

12     Sur appel interjeté par SEMIS contre ladite ordonnance, le Landesgericht Klagenfurt (Autriche) a rejeté la demande d’exécution du jugement par défaut au motif que le fait d’être «en mesure d’exercer un recours» contre une décision rendue par défaut, au sens de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, suppose une notification ou une signification de cette décision au défendeur défaillant. Cette juridiction a écarté l’argumentation d’ASML, selon laquelle l’exception au motif de non-reconnaissance visée audit article 34, point 2, trouverait à s’appliquer parce que SEMIS a eu connaissance, d’une part, de la procédure engagée contre elle aux Pays-Bas du fait de la signification ou de la notification, le 25 mai 2004, de l’assignation à comparaître et, d’autre part, de l’existence dudit jugement par défaut à la suite de la notification de l’ordonnance du Bezirksgericht Villach, du 20 décembre 2004, conférant force exécutoire à ce jugement.

13     Statuant dans le cadre du recours en «Revision» formé par ASML, l’Oberster Gerichtshof relève que, en l’espèce, SEMIS n’a pas reçu signification ou notification de l’acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent dans un délai lui permettant de se défendre, dès lors que l’assignation à comparaître à l’audience du Rechtbank’ s-Hertogenbosch ne lui a été notifiée que postérieurement à la date à laquelle celle-ci s’est tenue. Selon la juridiction de renvoi, le motif de refus de reconnaissance et d’exécution énoncé à l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 est donc applicable en l’espèce, sauf si les conditions de l’exception à ce motif sont réunies, c’est-à-dire s’il est retenu, aux termes de l’article 34, point 2, in fine, que SEMIS «n’[a] pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’[elle] était en mesure de le faire».

14     Considérant que la solution du litige pendant devant lui nécessite une interprétation de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter la formule ‘[…] à moins que [le défendeur] n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire’ figurant à l’article 34, point 2, du règlement […] n° 44/2001 […] en ce sens que le fait d’être ‘en mesure de le faire’ au sens précité suppose, en tout état de cause, que le défendeur ait reçu, conformément à la législation applicable en la matière, signification ou notification d’une expédition d’un jugement rendu par défaut dans un État membre et faisant droit à la demande?

2)      En cas de réponse négative à la première question:

Faut-il considérer que la seule signification ou notification d’une expédition de l’ordonnance relative à la demande de faire constater la force exécutoire, en Autriche, du jugement rendu par défaut par le Rechtbank ’s-Hertogenbosch le 16 juin 2004 et de faire ordonner l’exécution forcée en vertu du titre exécutoire étranger dont la force exécutoire a été constatée aurait dû inciter la partie défenderesse et débitrice […] à vérifier, d’une part, l’existence de ce jugement, ainsi que, d’autre part, l’existence d’une voie de recours (éventuelle) dans l’ordre juridique de l’État dans lequel le jugement a été rendu, en vue de déterminer si elle était en mesure d’exercer un recours, à titre de condition essentielle pour l’applicabilité de l’exception à l’obstacle à la reconnaissance prévu à l’article 34 du règlement n° 44/2001?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

15     Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que la condition d’avoir été «en mesure», au sens de cette disposition, d’exercer un recours à l’encontre de la décision rendue par défaut et dont l’exécution est demandée requiert que cette décision ait été régulièrement signifiée ou notifiée au défendeur défaillant ou s’il suffit que ce dernier ait eu connaissance de son existence au stade de la procédure d’exécution dans l’État requis.

16     À cet égard, il y a lieu tout d’abord de constater que le libellé de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 ne permet pas, à lui seul, de répondre aux questions posées.

17     En effet, ladite disposition n’énonce une condition expresse de signification ou de notification au défendeur défaillant qu’en relation avec l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent et non en ce qui concerne la décision rendue par défaut.

18     Il convient ensuite de relever que le libellé de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 diffère sensiblement des dispositions équivalentes de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) ainsi que par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»).

19     En effet, l’article 27, point 2, de la convention de Bruxelles prévoit que les décisions ne sont pas reconnues «si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, régulièrement et en temps utile, pour qu’il puisse se défendre».

20     En revanche, l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 requiert non pas nécessairement la régularité de la signification ou de la notification de l’acte introductif d’instance, mais le respect effectif des droits de la défense.

21     Enfin, ledit article 34, point 2, prévoit une exception au refus de reconnaissance et d’exécution de la décision, à savoir le cas où le défendeur défaillant n’a pas exercé de recours à l’encontre de celle-ci alors qu’il était en mesure de le faire.

22     Dès lors, il y a lieu d’interpréter l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 à la lumière des objectifs et du système dudit règlement.

23     En ce qui concerne, en premier lieu, les objectifs dudit règlement, il ressort de ses deuxième, sixième, seizième et dix-septième considérants qu’il vise à assurer la libre circulation des décisions émanant des États membres en matière civile et commerciale en simplifiant les formalités en vue de leur reconnaissance et de leur exécution rapides et simples.

24     Cet objectif ne saurait toutefois être atteint en affaiblissant, de quelque manière que ce soit, les droits de la défense, ainsi que la Cour l’a jugé au sujet de l’article 27, point 2, de la convention de Bruxelles (voir, notamment, arrêts du 11 juin 1985, Debaecker et Plouvier, 49/84, Rec. p. 1779, point 10; du 13 octobre 2005, Scania Finance France, C‑522/03, Rec. p. I-8639, point 15, et du 16 février 2006, Verdoliva, C‑3/05, Rec. p. I-1579, point 26).

25     La même exigence résulte du dix-huitième considérant du règlement n° 44/2001, en vertu duquel le respect des droits de la défense impose que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire d’une décision, s’il considère que l’un des motifs de non-exécution est établi.

26     Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font en effet partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (voir, notamment, avis 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33). À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêts du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et du 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, Rec. p. I-1935, point 25).

27     Or, il résulte de la CEDH, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme, que les droits de la défense, qui dérivent du droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de cette convention, exigent une protection concrète et effective, propre à garantir l’exercice effectif des droits du défendeur (voir Cour eur. D. H., arrêts Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A n° 37, § 33, et T. c. Italie du 12 octobre 1992, série A n° 245 C, § 28).

28     Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 105 de ses conclusions, la Cour européenne des droits de l’homme a également jugé, certes en matière pénale, que le défaut de connaissance par l’accusé des motifs de l’arrêt d’une cour d’appel, à l’intérieur du délai imparti pour former un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation, constitue une violation des dispositions combinées de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la CEDH, parce que l’intéressé avait été dans l’impossibilité d’exercer son recours de manière utile et effective (voir Cour eur. D. H., arrêt Hadjianastassiou c. Grèce du 16 décembre 1992, série A n° 252, § 29 à 37).

29     En second lieu, en ce qui concerne le système établi par le règlement n° 44/2001 en matière de reconnaissance et d’exécution, il importe de relever, ainsi que l’a fait M. l’avocat général au point 112 de ses conclusions, que le respect des droits du défendeur défaillant est assuré par un double contrôle.

30     Durant la procédure initiale dans l’État d’origine, il résulte en effet de l’application combinée des articles 26, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001 et 19, paragraphe 1, du règlement n° 1348/2000 que le juge saisi est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi soit que le défendeur défaillant a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre, soit que toute diligence a été faite à cette fin.

31     Durant la procédure de reconnaissance et d’exécution dans l’État requis, si le défendeur exerce un recours contre la déclaration constatant la force exécutoire de la décision rendue dans l’État d’origine, le juge statuant sur ce recours peut être amené à examiner un motif de refus de reconnaissance ou d’exécution, tel que celui visé à l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001.

32     C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer si, en cas d’absence de signification ou de notification de la décision rendue par défaut, la simple connaissance de l’existence de cette décision au stade de la procédure d’exécution par la personne contre laquelle l’exécution est demandée suffit pour juger que cette personne était en mesure, au sens de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, d’exercer un recours contre ladite décision.

33     Dans l’affaire au principal, il est constant que le jugement par défaut n’a pas été signifié ni notifié au défendeur défaillant, de sorte que ce dernier n’a pas eu connaissance du contenu de ce jugement.

34     Or, ainsi que l’ont fait valoir à bon droit les gouvernements autrichien, allemand, néerlandais et polonais ainsi que la Commission des Communautés européennes dans leurs observations présentées devant la Cour, l’exercice d’un recours contre une décision n’est possible que si l’auteur de ce recours a été mis à même de connaître le contenu de celle-ci, la simple connaissance de l’existence de cette décision ne suffisant pas à cet effet.

35     En effet, la possibilité pour le défendeur d’exercer un recours effectif lui permettant de faire valoir ses droits, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 27 et 28 du présent arrêt, requiert qu’il puisse prendre connaissance des motifs de la décision rendue par défaut afin de pouvoir les contester utilement.

36     Il s’ensuit que seule la connaissance par le défendeur défaillant du contenu de la décision rendue par défaut permet de garantir, conformément aux exigences de respect des droits de la défense et de l’exercice effectif de ceux-ci, que ce défendeur a été en mesure, au sens de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, d’exercer un recours à l’encontre de cette décision devant le juge de l’État d’origine.

37     Cette conclusion n’est pas de nature à remettre en cause l’effet utile des modifications apportées par l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 aux dispositions équivalentes de l’article 27, point 2, de la convention de Bruxelles.

38     En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 58 et 60 de ses conclusions, l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 vise, notamment, à empêcher le défendeur défaillant d’attendre la procédure de reconnaissance et d’exécution dans l’État requis pour se prévaloir de la violation des droits de la défense lorsque ce défendeur a eu la possibilité de faire valoir ses droits en exerçant un recours contre la décision en cause dans l’État d’origine.

39     L’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 n’implique pas cependant que le défendeur soit tenu d’accomplir des démarches nouvelles allant au-delà d’une diligence normale dans la défense de ses droits, telles que celles consistant à s’informer du contenu d’une décision rendue dans un autre État membre.

40     Par conséquent, pour considérer que le défendeur défaillant a été en mesure, au sens de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, d’exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre, il doit avoir eu connaissance du contenu de cette décision, ce qui suppose que celle-ci lui ait été signifiée ou notifiée.

41     Toutefois, il convient de préciser, ainsi que l’ont fait observer les gouvernements autrichien, allemand et du Royaume-Uni dans leurs observations présentées devant la Cour, que la signification ou la notification régulière de la décision rendue par défaut, à savoir le respect de toutes les règles applicables à ces formalités, ne constitue pas une condition nécessaire pour que le défendeur soit considéré comme ayant été en mesure d’exercer un recours.

42     Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 65 de ses conclusions, l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 conduit à établir à cet égard un parallèle entre l’acte introductif d’instance et la décision rendue par défaut.

43     En effet, c’est dans la même mesure que la signification ou la notification de l’acte introductif d’instance et celle de la décision rendue par défaut, intervenues en temps utile et de telle manière que le défendeur puisse se défendre, confèrent à ce dernier la possibilité de veiller au respect de ses droits devant le juge de l’État d’origine.

44     Par conséquent, l’économie du règlement n° 44/2001 ne requiert pas de soumettre la signification ou la notification d’une décision rendue par défaut à des conditions plus strictes que celles prévues à l’article 34, point 2, de ce règlement en ce qui concerne la signification ou la notification d’un acte introductif d’instance.

45     Or, en ce qui concerne l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent, l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 supprime la condition nécessaire de régularité formelle énoncée à l’article 27, point 2, de la convention de Bruxelles, ainsi qu’il a été rappelé au point 20 du présent arrêt.

46     La condition d’exclusion du motif justifiant le défaut de reconnaissance et d’exécution énoncée à ladite disposition ne saurait donc être nécessairement une signification ou une notification régulière à tous égards, mais, pour le moins, une connaissance du contenu de la décision en temps utile pour se défendre.

47     Partant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, les exigences formelles auxquelles doit satisfaire cette signification ou cette notification doivent être comparables à celles prévues par le législateur communautaire à l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 en ce qui concerne les actes introductifs d’instance, de sorte qu’une simple irrégularité formelle, qui ne porte pas atteinte aux droits de la défense, ne saurait suffire à écarter l’application de l’exception au motif justifiant le défaut de reconnaissance ou d’exécution.

48     Par conséquent, pour considérer que le défendeur a été «en mesure», au sens de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, d’exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre, il doit avoir eu connaissance du contenu de celle-ci, de telle manière que ce défendeur ait pu, en temps utile, faire valoir ses droits de manière effective devant le juge de l’État d’origine.

49     Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un défendeur ne saurait être «en mesure» d’exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre que s’il a eu effectivement connaissance du contenu de celle-ci, par voie de signification ou de notification effectuée en temps utile pour lui permettre de se défendre devant le juge de l’État d’origine.

 

 Sur les dépens

 

50     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 34, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’un défendeur ne saurait être «en mesure» d’exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre que s’il a eu effectivement connaissance du contenu de celle-ci, par voie de signification ou de notification effectuée en temps utile pour lui permettre de se défendre devant le juge de l’État d’origine.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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