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CJUE, 12 février 2009, aff. C-339/07, Christopher Seagon c/ Deko Marty Belgium NV

 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 12 février 2009

Affaire C-339/07

Christopher Seagon, agissant en qualité d'administrateur judiciaire de Frick Teppichboden Supermärkte GmbH

contre

Deko Marty Belgium NV

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof)

«Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d’insolvabilité — Juridiction compétente»

 

Sommaire de l'arrêt

Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 3, § 1, 16 et 25, 2e, 4e, 6e et 8e considérants)

L’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 1346/2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire dans un autre État membre.

Une telle interprétation résulte de l'effet utile de ce règlement ainsi que de l'intention du législateur de limiter ce même règlement à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement.

(cf. points 20-21, 28 et disp.)

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 février 2009

 

«Coopération judiciaire en matière civile – Procédures d’insolvabilité – Juridiction compétente»

Dans l’affaire C‑339/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 21 juin 2007, parvenue à la Cour le 20 juillet 2007, dans la procédure

Christopher Seagon, agissant en qualité d’administrateur judiciaire de Frick Teppichboden Supermärkte GmbH,

contre

Deko Marty Belgium NV,

 

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 septembre 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Seagon, agissant en qualité d’administrateur judiciaire de Frick Teppichboden Supermärkte GmbH, par Me B. Ackermann, Rechtsanwältin,

–        pour Deko Marty Belgium NV, par Me H. Raeschke-Kessler, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes O. Patsopoulou et M. Tassopoulou, ainsi que par M. I. Bakopoulos, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes A.‑M. Rouchaud-Joët et S. Gruenheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 octobre 2008,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1), et de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Seagon, agissant en qualité d’administrateur judiciaire de Frick Teppichboden Supermärkte GmbH (ci-après «Frick»), à Deko Marty Belgium NV (ci-après «Deko») au sujet de la restitution par cette dernière d’une somme de 50 000 euros qui lui avait été versée par Frick.

 

 Le cadre juridique

 

3        Le deuxième considérant du règlement nº 1346/2000 énonce:

«Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières fonctionnent efficacement et effectivement et l’adoption du présent règlement est nécessaire pour atteindre cet objectif qui relève du domaine de la coopération judiciaire civile au sens de l’article 65 du traité [CE].»

4        Aux termes du quatrième considérant dudit règlement, «[i]l est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique (forum shopping)».

5        Le sixième considérant de ce même règlement prévoit:

«Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe.»

6        Le huitième considérant du règlement n° 1346/2000 énonce:

«Pour réaliser l’objectif visant à améliorer et à accélérer les procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, il paraît nécessaire et approprié que les dispositions relatives à la compétence, à la reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine soient contenues dans un acte juridique communautaire qui soit obligatoire et directement applicable dans tout État membre.»

7        L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement dispose:

«Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.»

8        L’article 16, paragraphe 1, dudit règlement énonce:

«Toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture.

Cette règle s’applique également lorsque le débiteur, du fait de sa qualité, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans les autres États membres.»

9        L’article 25, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de ce même règlement prévoit:

«Les décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par une juridiction dont la décision d’ouverture est reconnue conformément à l’article 16 ainsi qu’un concordat approuvé par une telle juridiction sont reconnus également sans aucune autre formalité. […]

Le premier alinéa s’applique également aux décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction.»

10      L’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 définit le champ d’application de ce règlement. Ce dernier s’applique en matière civile et commerciale et ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

11      L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 44/2001 prévoit:

«Sont exclus de [l’application de ce règlement]:

[…]

b)      les faillites, concordats et autres procédures analogues».

 

 Le litige au principal et la question préjudicielle

 

12      Le 14 mars 2002, Frick, qui a son siège en Allemagne, a viré un montant de 50 000 euros sur un compte ouvert auprès de KBC Bank, à Düsseldorf, au nom de Deko, société ayant son siège en Belgique. Saisi d’une demande présentée par Frick le 15 mars 2002, l’Amtsgericht Marburg (Allemagne) a ouvert le 1er juin 2002 une procédure d’insolvabilité portant sur le patrimoine de cette dernière. Par une requête portée devant le Landgericht Marburg (Allemagne), M. Seagon, agissant en qualité d’administrateur judiciaire de Frick, a demandé à cette juridiction, par la voie d’une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité du débiteur, d’ordonner à Deko de restituer ledit montant.

13      Le Landgericht Marburg a rejeté cette dernière demande comme irrecevable, au motif qu’il ne disposait pas de la compétence internationale pour en connaître. L’appel interjeté par M. Seagon n’ayant pas non plus été couronné de succès, ce dernier a formé un recours en «Revision» devant le Bundesgerichtshof.

14      C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les juridictions de l’État membre dans le territoire duquel s’est ouverte la procédure d’insolvabilité portant sur le patrimoine du débiteur sont-elles investies par le règlement [n° 1346/2000] d’une compétence internationale pour connaître d’une action révocatoire au titre de l’insolvabilité contre un défendeur ayant son siège statutaire dans un autre État membre?

2)      Si la première question appelle une réponse négative:

L’action révocatoire au titre de l’insolvabilité relève-t-elle de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement [n° 44/2001]?»

 Sur les questions préjudicielles

15      Les questions posées par la juridiction de renvoi portent sur la compétence internationale des juridictions en matière d’actions révocatoires fondées sur l’insolvabilité.

16      Il ressort de la décision de renvoi que l’action révocatoire est régie, en droit allemand, par les articles 129 et suivants du règlement relatif à l’insolvabilité (Insolvenzordnung), du 5 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 2866). Seul le syndic peut exercer cette action en cas d’insolvabilité, en vue exclusivement de la défense des intérêts de la masse des créanciers. En application des dispositions des articles 130 à 146 de ce règlement, le syndic peut attaquer des actes exécutés avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité et préjudiciables aux créanciers.

17      L’action révocatoire en cause au principal a donc pour but l’accroissement de l’actif de l’entreprise faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité.

18      Il convient d’examiner si les actions révocatoires sont incluses dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000.

19      À cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la Cour a jugé, dans le cadre de sa jurisprudence relative à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), qu’une action semblable à celle en cause au principal se rattache à une procédure de faillite, dès lors qu’elle dérive directement de la faillite et s’insère étroitement dans le cadre d’une procédure de liquidation des biens ou de règlement judiciaire (voir arrêt du 22 février 1979, Gourdain, 133/78, p. 733, point 4). Une action présentant de telles caractéristiques n’entre pas, dès lors, dans le champ d’application de cette convention.

20      Or, c’est précisément ce même critère qu’utilise le sixième considérant du règlement n° 1346/2000 afin de délimiter l’objet de ce dernier. Ainsi, selon ce considérant, ledit règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement.

21      Compte tenu de cette intention du législateur et de l’effet utile dudit règlement, l’article 3, paragraphe 1, de ce dernier doit être interprété en ce sens qu’il attribue également une compétence internationale à l’État membre sur le territoire duquel a été ouverte la procédure d’insolvabilité pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent étroitement.

22      Une telle concentration de l’ensemble des actions directement liées à l’insolvabilité d’une entreprise devant les juridictions de l’État membre compétent pour l’ouverture de la procédure d’insolvabilité apparaît également conforme à l’objectif d’amélioration de l’efficacité et de la rapidité des procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, visé aux deuxième et huitième considérants du règlement n° 1346/2000.

23      En outre, cette interprétation est confirmée par le quatrième considérant dudit règlement, selon lequel il est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique (forum shopping).

24      Or, la possibilité que divers fors exercent une compétence en ce qui concerne les actions révocatoires engagées dans différents États membres aboutirait à affaiblir la poursuite d’un tel objectif.

25      Enfin, l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000, telle qu’énoncée au point 21 du présent arrêt, est corroborée par l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, le premier alinéa de cette dernière disposition institue une obligation de reconnaissance des décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par une juridiction dont la décision d’ouverture de la procédure est reconnue conformément à l’article 16 dudit règlement, à savoir une juridiction compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de ce même règlement.

26      Or, en vertu du deuxième alinéa de l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000, le premier alinéa de ce paragraphe 1 s’applique aussi aux décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. En d’autres termes, cette disposition admet la possibilité que les juridictions d’un État membre sur le territoire duquel a été ouverte une procédure d’insolvabilité, au titre de l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement, connaissent également d’une action du type de celle en cause au principal.

27      Dans ce contexte, les termes «même si elles sont rendues par une autre juridiction», constituant le dernier membre de phrase de l’article 25, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ce même règlement, n’impliquent pas que le législateur communautaire ait voulu exclure une compétence des juridictions de l’État sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte pour le type d’actions en question. Ces termes signifient, en particulier, qu’il incombe aux États membres de déterminer la juridiction territorialement et matériellement compétente, laquelle ne doit pas nécessairement être celle qui a procédé à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. En outre, lesdits termes se réfèrent à la reconnaissance des décisions ouvrant une procédure d’insolvabilité prévue à l’article 16 du règlement n° 1346/2000.

28      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire dans un autre État membre.

29      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 

 Sur les dépens

 

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire dans un autre État membre.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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