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CJUE, 4 mai 2010, aff. C-533/08, TNT Express Nederland BV c/ AXA Versicherung AG

 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 4 mai 2010

Affaire C-533/08

TNT Express Nederland BV

contre

AXA Versicherung AG

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden)

«Coopération judiciaire en matière civile et commerciale — Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions — Règlement (CE) nº 44/2001 — Article 71 — Conventions conclues par les États membres dans des matières particulières — Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR)»

 

Sommaire de l'arrêt

1.        Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001 — Relations avec les conventions relatives à une matière particulière — Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route

(Règlement du Conseil nº 44/2001, 6e, 11e, 12e et 15e à 17e considérants et art. 71)

2.        Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites — Convention internationale ne liant pas la Communauté — Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route

(Art. 267 TFUE; règlement du Conseil nº 44/2001, art. 71)

1.        L’article 71 du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que les règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution prévues par une convention relative à une matière particulière, telles que la règle de litispendance énoncée à l’article 31, paragraphe 2, de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole signé à Genève le 5 juillet 1978, et celle relative à la force exécutoire énoncée à l’article 31, paragraphe 3, de cette convention, s’appliquent, à condition qu’elles présentent un haut degré de prévisibilité, facilitent une bonne administration de la justice et permettent de réduire au maximum le risque de procédures concurrentes et qu’elles assurent, dans des conditions au moins aussi favorables que celles prévues par ledit règlement, la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale et la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union (favor executionis).

En effet, si l’article 71 du règlement nº 44/2001 vise à faire respecter les règles édictées par une convention spéciale, en raison des spécificités d’une matière particulière, il n’en demeure pas moins que l'application de telles règles ne saurait porter atteinte aux principes susmentionnés qui sous-tendent la coopération judiciaire en matière civile et commerciale au sein de l’Union et dont le respect est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, lequel constitue la ratio même du règlement nº 44/2001. L'article 71 de ce règlement ne peut, en effet, avoir une portée qui soit en conflit avec les principes sous-tendant la législation dont il fait partie. Dès lors, dans un domaine couvert par ledit règlement, tel que le transport de marchandises par route, l'application des dispositions d'une convention spéciale, telle que la CMR, ne peut avoir lieu si elle conduit à des résultats moins favorables à la réalisation du bon fonctionnement du marché intérieur que ceux auxquels aboutissent les dispositions dudit règlement.

(cf. points 48-51, 56, disp. 1)

2.        La Cour de justice n’est pas compétente pour interpréter l’article 31 de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole signé à Genève le 5 juillet 1978. En effet, c’est seulement lorsque et dans la mesure où l’Union a assumé les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application d’une convention internationale non conclue par l’Union et que, par conséquent, les dispositions de cette convention ont pour effet de lier l’Union que la Cour est compétente pour interpréter une telle convention. Toutefois, il ne saurait être affirmé que les règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution prévues par la CMR lient l’Union. Il ressort, bien au contraire, de l’interprétation de l’article 71 du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, qu’il ne peut être fait application, au sein de l’Union, de ces règles que dans le respect des principes sous-tendant ledit règlement.

(cf. points 62-63, disp. 2)

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

4 mai 2010

 

«Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 71 – Conventions conclues par les États membres dans des matières particulières – Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR)»

Dans l’affaire C‑533/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 68 CE et 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays‑Bas), par décision du 28 novembre 2008, parvenue à la Cour le 3 décembre 2008, dans la procédure

TNT Express Nederland BV

contre

AXA Versicherung AG,

 

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mmes R. Silva de Lapuerta et C. Toader, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, P. Kūris, E. Juhász, M. Ilešič (rapporteur), J.‑J. Kasel et M. Safjan, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 novembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour TNT Express Nederland BV, par Me J. H. J. Teunissen, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels et M. Y. de Vries, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 janvier 2010,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 71 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), ainsi que de l’article 31 de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole signé à Genève le 5 juillet 1978 (ci-après la «CMR»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TNT Express Nederland BV (ci-après «TNT») à AXA Versicherung AG (ci-après «AXA») au sujet de l’exécution aux Pays-Bas de décisions d’une juridiction allemande condamnant TNT au versement d’une indemnité en raison de la perte de marchandises lors d’un transport routier international.

 

 Le cadre juridique

 

 Le règlement n° 44/2001

3        Le premier considérant du règlement n° 44/2001 énonce:

«La Communauté s’est donné pour objectif de maintenir et de développer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel la libre circulation des personnes est assurée. Pour mettre en place progressivement un tel espace, il convient que la Communauté adopte, entre autres, les mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile qui sont nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur.»

4        Aux termes du sixième considérant de ce règlement:

«Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique communautaire contraignant et directement applicable.»

5        Les onzième, douzième et quinzième considérants du règlement n° 44/2001 précisent:

«(11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés […].

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[…]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que les décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. […]»

6        Les seizième et dix-septième considérants de ce règlement énoncent:

«(16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.

(17)      Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. […]»

7        Selon le vingt-cinquième considérant dudit règlement:

«Le respect des engagements internationaux souscrits par les États membres justifie que le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui portent sur des matières spéciales.»

8        Aux termes de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 44/2001:

«1.      Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2.      Sont exclus de son application:

a)      l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions;

b)      les faillites, concordats et autres procédures analogues;

c)      la sécurité sociale;

d)      l’arbitrage.»

9        L’article 27 du règlement n° 44/2001, figurant à la section 9, intitulée «Litispendance et connexité», du chapitre II, intitulé «Compétence», de ce règlement, dispose:

«1.      Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.      Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»

10      L’article 34 du règlement n° 44/2001, figurant à la section 1, intitulée «Reconnaissance», du chapitre III, intitulé «Reconnaissance et exécution», de ce règlement, dispose:

«Une décision n’est pas reconnue si:

1)       la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis;

[…]»

11      L’article 35 dudit règlement, figurant à la même section, est libellé comme suit:

«1.      De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l’article 72.

2.      Lors de l’appréciation des compétences mentionnées au paragraphe précédent, l’autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l’État membre d’origine a fondé sa compétence.

3.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine. Le critère de l’ordre public visé à l’article 34, point 1, ne peut être appliqué aux règles de compétence.»

12      Aux termes de l’article 36 du même règlement, figurant également à la section 1 du chapitre III de celui-ci, «la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond».

13      L’article 38, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, figurant à la section 2, intitulée «Exécution», du chapitre III de ce règlement, dispose:

«Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.»

14      L’article 43, paragraphe 1, dudit règlement ajoute que «[l]’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire».

15      L’article 45 du même règlement précise:

«1.      La juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 […] ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. […]

2.      En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.»

16      L’article 71 du règlement n° 44/2001, figurant au chapitre VII de celui-ci, intitulé «Relations avec les autres instruments», dispose:

«1.      Le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.

2.      En vue d’assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manière suivante:

a)      le présent règlement ne fait pas obstacle à ce qu’un tribunal d’un État membre, partie à une convention relative à une matière particulière, puisse fonder sa compétence sur une telle convention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre non partie à une telle convention. Le tribunal saisi applique, en tout cas, l’article 26 du présent règlement;

b)      les décisions rendues dans un État membre par un tribunal ayant fondé sa compétence sur une convention relative à une matière particulière sont reconnues et exécutées dans les autres États membres conformément au présent règlement.

Si une convention relative à une matière particulière et à laquelle sont parties l’État membre d’origine et l’État membre requis détermine les conditions de reconnaissance et d’exécution des décisions, il est fait application de ces conditions. Il peut, en tout cas, être fait application des dispositions du présent règlement qui concernent la procédure relative à la reconnaissance et à l’exécution des décisions.»

 La CMR

17      La CMR s’applique, conformément à son article 1er, «à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison […] sont situés dans deux pays différents dont l’un au moins est un pays contractant, […] quels que soient le domicile et la nationalité des parties».

18      La CMR a été négociée dans le cadre de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies. Plus de 50 États, parmi lesquels tous les États membres de l’Union européenne, ont adhéré à la CMR.

19      L’article 23 de la CMR énonce:

«1.      Quand, en vertu des dispositions de la présente Convention, une indemnité pour perte totale ou partielle de la marchandise est mise à la charge du transporteur, cette indemnité est calculée d’après la valeur de la marchandise au lieu et à l’époque de la prise en charge.

[…]

3.      Toutefois, l’indemnité ne peut dépasser 8,33 unités de compte par kilogramme du poids brut manquant.

4.      Sont en outre remboursés le prix du transport, les droits de douane et les autres frais encourus à l’occasion du transport de la marchandise, en totalité en cas de perte totale, et au prorata en cas de perte partielle; d’autres dommages-intérêts ne sont pas dus.

[…]

7.      L’unité de compte mentionnée dans la présente Convention est le Droit de tirage spécial tel que défini par le Fonds monétaire international. Le montant visé au paragraphe 3 du présent article est converti dans la monnaie nationale de l’État dont relève le tribunal saisi du litige […]

[…]»

20      Aux termes de l’article 31 de la CMR:

«1.      Pour tous litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la présente Convention, le demandeur peut saisir, en dehors des juridictions des pays contractants désignées d’un commun accord par les parties, les juridictions du pays sur le territoire duquel:

a)      le défendeur a sa résidence habituelle, son siège principal ou la succursale ou l’agence par l’intermédiaire de laquelle le contrat de transport a été conclu, ou

b)      le lieu de la prise en charge de la marchandise ou celui prévu pour la livraison est situé,

et ne peut saisir que ces juridictions.

2.      Lorsque dans un litige visé au paragraphe [1] du présent article une action est en instance devant une juridiction compétente aux termes de ce paragraphe, ou lorsque dans un tel litige un jugement a été prononcé par une telle juridiction, il ne peut être intenté aucune nouvelle action pour la même cause entre les mêmes parties à moins que la décision de la juridiction devant laquelle la première action a été intentée ne soit pas susceptible d’être exécutée dans le pays où la nouvelle action est intentée.

3.       Lorsque dans un litige visé au paragraphe [1] du présent article un jugement rendu par une juridiction d’un pays contractant est devenu exécutoire dans ce pays, il devient également exécutoire dans chacun des autres pays contractants aussitôt après accomplissement des formalités prescrites à cet effet dans le pays intéressé. Ces formalités ne peuvent comporter aucune révision de l’affaire.

4.      Les dispositions du paragraphe 3 du présent article s’appliquent aux jugements contradictoires, aux jugements par défaut et aux transactions judiciaires, mais ne s’appliquent ni aux jugements qui ne sont exécutoires que par provision ni aux condamnations en dommages et intérêts qui seraient prononcées en sus des dépens contre un demandeur en raison du rejet total ou partiel de sa demande.

[…]»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

21      Au cours du mois d’avril 2001, Siemens Nederland NV (ci-après «Siemens») et TNT ont conclu un contrat de transport de marchandises par route, de Zoetermeer (Pays-Bas) à Unterschleissheim (Allemagne). La valeur et le poids des marchandises concernées étaient, respectivement, de 103 540 DM (52 939 euros) et de 12 kg.

22      Ces marchandises n’ont toutefois pas été livrées à leur lieu de destination.

23      Au cours du mois de mai 2002, TNT a saisi le Rechtbank te Rotterdam (Pays-Bas) d’une action déclaratoire contre AXA, l’assureur de Siemens, visant à faire dire pour droit que TNT ne répondait envers AXA d’aucun dommage en raison de la perte desdites marchandises, à l’exception d’un montant de 11,50 euros par kg, soit 138 euros au total, conformément à l’article 23 de la CMR, disposition fixant les règles applicables au montant des indemnités qui peuvent être réclamées. Le Rechtbank te Rotterdam a rejeté cette action par un jugement du 4 mai 2005. TNT a fait appel de ce jugement devant le Gerechtshof te ’s‑Gravenhage (Pays-Bas).

24      Au cours du mois d’août 2004, AXA a saisi le Landgericht München (Allemagne) d’une action contre TNT en réparation du dommage subi par Siemens en raison de la perte des mêmes marchandises. Étant donné qu’un litige était déjà pendant aux Pays-Bas entre les mêmes parties au sujet du même transport, TNT a fait valoir que, en application de la règle de litispendance énoncée à l’article 31, paragraphe 2, de la CMR, le Landgericht München ne pouvait connaître de l’action d’AXA.

25      Par décisions des 4 avril et 7 septembre 2006 (ci-après les «décisions du Landgericht München»), le Landgericht München a rejeté l’argumentation de TNT fondée sur l’article 31, paragraphe 2, de la CMR et a mis une indemnité à la charge de cette entreprise.

26      Le 6 mars 2007, AXA a demandé au Rechtbank te Utrecht (Pays-Bas) de déclarer les décisions du Landgericht München exécutoires aux Pays-Bas en vertu du règlement n° 44/2001. Après que le juge des référés du Rechtbank te Utrecht eut fait droit à cette demande par une ordonnance du 28 mars 2007, TNT a, le 4 mai 2007, demandé au Rechtbank te Utrecht d’annuler cette ordonnance et de refuser l’exécution desdites décisions ou, à tout le moins, de surseoir à statuer sur la demande d’exécution de celles-ci, jusqu’à ce que le Gerechtshof te ’s‑Gravenhage ait statué sur l’appel interjeté contre le jugement du Rechtbank te Rotterdam du 4 mai 2005.

27      TNT avait fondé son recours devant le Rechtbank te Utrecht sur le motif que la reconnaissance des décisions du Landgericht München était manifestement contraire à l’ordre public néerlandais. Elle avait relevé que, en vertu de la règle de litispendance prévue à l’article 31, paragraphe 2, de la CMR, le Landgericht München n’était pas compétent pour connaître de l’action d’AXA.

28      En revanche, AXA estimait que, en vertu de l’article 35, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001, le juge néerlandais ne pouvait contrôler la compétence du juge allemand, le critère de l’ordre public visé à l’article 34, point 1, de ce règlement ne pouvant être appliqué aux règles de compétence.

29      Le Rechtbank te Utrecht a rejeté le recours de TNT par une ordonnance du 18 juillet 2007. À cette date, le Gerechtshof te ’s‑Gravenhage n’avait pas encore statué sur l’appel interjeté devant lui par TNT.

30      Le Rechtbank te Utrecht a considéré que TNT ne pouvait invoquer le motif de refus de reconnaissance énoncé à l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001 pour contester la compétence du juge allemand, étant donné que les règles de compétence ne concernent pas l’ordre public visé à cette disposition, ainsi que le précise l’article 35, paragraphe 3, de ce règlement.

31      TNT s’est pourvue en cassation contre l’ordonnance du Rechtbank te Utrecht du 18 juillet 2007. Selon elle, cette juridiction a méconnu le fait que l’article 31 de la CMR déroge, en vertu de l’article 71, paragraphe 2, sous b), second alinéa, du règlement n° 44/2001, à l’interdiction de contrôler la compétence des juridictions de l’État membre d’origine énoncée à l’article 35, paragraphe 3, dudit règlement.

32      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Faut-il interpréter l’article 71, paragraphe 2, initio et sous b), second alinéa, du règlement n° 44/2001 en ce sens que:

a)      le régime de reconnaissance et d’exécution du règlement n° 44/2001 ne cède au bénéfice de celui de la convention spéciale que si le régime de la convention spéciale prétend à l’exclusivité, ou

b)      si les conditions de reconnaissance et d’exécution de la convention spéciale et celles du règlement n° 44/2001 jouent simultanément, les conditions de la convention spéciale doivent toujours être appliquées et celles du règlement n° 44/2001 doivent rester inappliquées même si la convention spéciale ne prétend pas à l’exclusivité par rapport à d’autres règles internationales de reconnaissance et d’exécution?

2)      La Cour est-elle compétente, en vue de prévenir des décisions divergentes sur le concours [de règles] visé à la première question, pour interpréter – de manière impérative pour les juridictions des États membres – la [CMR], pour ce qui concerne la matière régie à l’article 31 de cette convention?

3)      Si la deuxième question appelle une réponse affirmative, et que la première question, sous a), appelle elle aussi une réponse affirmative, faut-il interpréter le régime de reconnaissance et d’exécution prévu à l’article 31, paragraphes 3 et 4, de la CMR en ce sens que celui-ci ne prétend pas à l’exclusivité et laisse le champ à l’application d’autres règles internationales d’exécution permettant de reconnaître ou d’exécuter des décisions, telles que le règlement n° 44/2001?

Si la première question, sous b), appelle une réponse affirmative et que la deuxième question appelle également une réponse affirmative, le Hoge Raad pose en outre les trois questions suivantes […]:

4)      L’article 31, paragraphes 3 et 4, de la CMR permet-il au juge de l’État requis, saisi d’une demande visant à déclarer une décision exécutoire, de contrôler si le juge de l’État d’origine était internationalement compétent pour connaître du litige?

5)      Faut-il interpréter l’article 71, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 en ce sens que, en cas de concours des règles de litispendance énoncées par la CMR et par le règlement n° 44/2001, la règle de litispendance énoncée par la CMR prime celle du règlement n° 44/2001?

6)      La déclaration sollicitée en l’espèce aux Pays-Bas et la réparation sollicitée en Allemagne concernent-elles la ‘même cause’ au sens de l’article 31, paragraphe 2, de la CMR?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Considérations liminaires

33      Il y a lieu de constater d’emblée que le litige opposant TNT à AXA relève tant du champ d’application de la CMR que de celui du règlement n° 44/2001.

34      En effet, d’une part, ce litige porte sur un contrat de transport de marchandises par route, lequel fixe une adresse aux Pays‑Bas comme lieu de la prise en charge de la marchandise et une adresse en Allemagne comme lieu prévu pour la livraison de celle-ci. Les conditions d’application de la CMR, énoncées à l’article 1er de cette dernière, sont ainsi remplies.

35      D’autre part, les litiges liés au transport de marchandises par route entre États membres relèvent de la «matière civile et commerciale» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001. En outre, le transport de marchandises par route ne figure pas parmi les domaines, limitativement énumérés audit article, qui sont exclus du champ d’application de ce même règlement.

36      Également à titre liminaire, il convient de rappeler que, dans la mesure où le règlement n° 44/2001 remplace la convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la «convention de Bruxelles»), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces instruments peuvent être qualifiées d’équivalentes (arrêts du 14 mai 2009, Ilsinger, C‑180/06, non encore publié au Recueil, point 41, et du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C‑189/08, non encore publié au Recueil, point 18).

37      L’article 71 du règlement n° 44/2001, dont l’interprétation est sollicitée dans la présente affaire, remplace l’article 57 de la convention de Bruxelles, qui énonçait au sujet des conventions relatives à des matières particulières (ci-après les «conventions spéciales»):

«1.      La présente convention n’affecte pas les conventions auxquelles les États contractants sont ou seront parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.

2.      En vue d’assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manière suivante:

a)      la présente convention ne fait pas obstacle à ce qu’un tribunal d’un État contractant partie à une convention relative à une matière particulière puisse fonder sa compétence sur une telle convention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État contractant non partie à une telle convention […];

b)      les décisions rendues dans un État contractant par un tribunal ayant fondé sa compétence sur une convention relative à une matière particulière sont reconnues et exécutées dans les autres États contractants conformément à la présente convention.

Si une convention relative à une matière particulière et à laquelle sont parties l’État d’origine et l’État requis détermine les conditions de reconnaissance et d’exécution des décisions, il est fait application de ces conditions. […]

[…]»

38      Par l’emploi des termes «ou seront», l’article 57, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles précisait que les règles contenues dans cette convention ne s’opposaient pas à l’application de règles différentes auxquelles les États contractants souscriraient, dans le futur, par la conclusion de conventions spéciales. Ces termes n’ont pas été repris à l’article 71, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001. Dès lors, celui-ci ne donne pas la possibilité aux États membres d’introduire, par la conclusion de nouvelles conventions spéciales ou la modification de conventions déjà en vigueur, des règles qui primeraient celles du règlement n° 44/2001. Cette constatation est confirmée par la jurisprudence selon laquelle, au fur et à mesure de l’instauration de règles communes, les États membres ne sont plus en droit de conclure des accords internationaux affectant ces règles (voir, notamment, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR», 22/70, Rec. p. 263, points 17 à 19, et du 5 novembre 2002, Commission/Danemark, dit «ciel ouvert», C‑467/98, Rec. p. I‑9519, point 77).

39      S’agissant, en revanche, de dispositions telles que l’article 31 de la CMR, auxquelles les États membres étaient déjà liés au moment de l’entrée en vigueur du règlement n° 44/2001, l’article 71 de ce règlement reflète la même systématique que l’article 57 de la convention de Bruxelles et est rédigé en des termes quasi identiques. Par conséquent, il convient de tenir compte de l’interprétation déjà fournie par la Cour dans le cadre de la convention de Bruxelles.

40      À la lumière de ces considérations liminaires et compte tenu de la connexité existant entre les différentes questions posées, les première et cinquième questions, portant sur l’interprétation de l’article 71 du règlement n° 44/2001, seront examinées ensemble et en premier lieu. Les questions portant sur l’interprétation de la CMR seront abordées par la suite.

 Sur l’interprétation de l’article 71 du règlement n° 44/2001

41      Par ses première et cinquième questions, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans une affaire telle que celle au principal, l’article 71 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que les règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution prévues par une convention spéciale, telles que la règle de litispendance énoncée à l’article 31, paragraphe 2, de la CMR et celle relative à la force exécutoire énoncée à l’article 31, paragraphe 3, de cette convention, s’appliquent.

42      Ainsi qu’il est exposé dans la décision de renvoi, cette question se pose, d’une part, en raison du fait que la règle de litispendance énoncée par la CMR et par le règlement n° 44/2001, quoique formulée dans des termes similaires, est susceptible d’avoir une portée différente selon que sont appliqués cette convention et la jurisprudence nationale y afférente ou bien ce règlement et la jurisprudence de la Cour le concernant et, d’autre part, en raison de la nécessité, pour le juge néerlandais saisi de la demande d’AXA visant à déclarer exécutoires les décisions du Landgericht München, de savoir s’il peut exercer un contrôle sur la compétence de ce dernier pour statuer sur l’action en indemnité introduite devant lui par AXA.

43      À ce dernier égard, TNT soutient que l’article 31, paragraphe 3, de la CMR permet un tel contrôle, tandis qu’AXA estime qu’un contrôle de la compétence du Landgericht München est exclu par l’article 35, paragraphe 3, du règlement n° 44/2001. À l’appui de cette argumentation, AXA a fait valoir devant les juridictions néerlandaises que la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de transport international de marchandises par route sont réglées par le règlement n° 44/2001 et non par la CMR.

44      Selon une jurisprudence constante, il convient, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêts du 18 mai 2000, KVS International, C‑301/98, Rec. p. I‑3583, point 21; du 16 octobre 2008, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände, C‑298/07, Rec. p. I‑7841, point 15, et du 23 décembre 2009, Detiček, C‑403/09 PPU, non encore publié au Recueil, point 33). Il y a donc lieu, aux fins de répondre aux première et cinquième questions préjudicielles, de tenir compte tant du libellé de l’article 71 du règlement n° 44/2001 et de l’objectif de cet article précis que du contexte de cette disposition et des objectifs poursuivis par ledit règlement.

45      Selon le libellé de l’article 71 du règlement n° 44/2001, il convient en principe d’appliquer, lorsque le litige relève du champ d’application d’une convention spéciale, les règles énoncées dans celle-ci et non celles fixées par le règlement n° 44/2001.

46      En effet, ainsi que l’ont fait valoir notamment les gouvernements néerlandais et tchèque, il ressort des termes de l’article 71, paragraphe 1, dudit règlement, selon lesquels celui-ci «n’affecte pas» les conventions spéciales, que le législateur a prévu, en cas de concours de règles, l’application de ces conventions.

47      Cette interprétation est corroborée par le paragraphe 2 de cet article 71, lequel énonce que, lorsque la convention spéciale à laquelle sont parties l’État membre d’origine et l’État membre requis détermine les conditions de reconnaissance et d’exécution des décisions, il y a lieu d’appliquer ces conditions. Ledit paragraphe 2 porte expressément sur des situations qui sont entièrement cantonnées à l’intérieur de l’Union. Il en ressort que, nonobstant l’explication donnée au vingt-cinquième considérant du règlement n° 44/2001 selon laquelle les conventions spéciales ne sont pas affectées afin de permettre aux États membres de respecter leurs engagements internationaux vis-à-vis des États tiers, le législateur a également voulu imposer, par l’article 71 de ce règlement, l’application desdites conventions au sein même de l’Union.

48      Il s’avère ainsi que l’article 71 du règlement n° 44/2001 vise à faire respecter des règles qui ont été édictées en tenant compte des spécificités d’une matière particulière (voir, s’agissant de l’article 57 de la convention de Bruxelles, arrêts du 6 décembre 1994, Tatry, C‑406/92, Rec. p. I‑5439, point 24, et du 28 octobre 2004, Nürnberger Allgemeine Versicherung, C‑148/03, Rec. p. I‑10327, point 14). Au vu de cet objectif, la Cour a jugé que les règles énoncées dans des conventions spéciales avaient pour effet d’écarter l’application des dispositions de la convention de Bruxelles portant sur la même question (voir, en ce sens, arrêt Tatry, précité, point 25).

49      S’il ressort des considérations qui précèdent que l’article 71 du règlement n° 44/2001 prévoit, dans les matières réglées par des conventions spéciales, l’application de ces dernières, il n’en demeure pas moins que cette application ne saurait porter atteinte aux principes qui sous-tendent la coopération judiciaire en matière civile et commerciale au sein de l’Union, tels que les principes, évoqués aux sixième, onzième, douzième et quinzième à dix-septième considérants du règlement n° 44/2001, de libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, de prévisibilité des juridictions compétentes et, partant, de sécurité juridique pour les justiciables, de bonne administration de la justice, de réduction au maximum du risque de procédures concurrentes, ainsi que de confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union.

50      Le respect de chacun de ces principes est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, lequel constitue, ainsi qu’il ressort du premier considérant du règlement n° 44/2001, la ratio de ce dernier.

51      L’article 71 du règlement n° 44/2001 ne peut avoir une portée qui soit en conflit avec les principes sous-tendant la législation dont il fait partie. Dès lors, cet article ne saurait être interprété en ce sens que, dans un domaine couvert par ce règlement, tel que le transport de marchandises par route, une convention spéciale, telle que la CMR, puisse conduire à des résultats qui soient moins favorables à la réalisation du bon fonctionnement du marché intérieur que ceux auxquels aboutissent les dispositions dudit règlement.

52      Cette constatation est conforme à une jurisprudence constante selon laquelle les conventions conclues par des États membres avec des États tiers ne sauraient, dans les relations entre les États membres, être appliquées au détriment des objectifs du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 22 septembre 1988, Deserbais, 286/86, Rec. p. 4907, point 18; du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, Rec. p. I‑743, point 84, ainsi que du 22 octobre 2009, Bogiatzi, C‑301/08, non encore publié au Recueil, point 19).

53      Il s’ensuit que les règles de compétence judiciaire, y compris les règles de litispendance, énoncées dans les conventions spéciales visées à l’article 71 du règlement n° 44/2001, ne peuvent être appliquées au sein de l’Union que dans la mesure où, ainsi que le réclament les onzième, douzième et quinzième considérants dudit règlement, elles présentent un haut degré de prévisibilité, facilitent une bonne administration de la justice et permettent de réduire au maximum le risque de procédures concurrentes.

54      S’agissant de la reconnaissance et de l’exécution des décisions, les principes pertinents sont ceux, énoncés au sixième ainsi qu’aux seizième et dix-septième considérants du règlement n° 44/2001, de libre circulation des décisions et de confiance réciproque dans la justice (favor executionis) (voir, notamment, arrêts du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, Rec. p. I‑12041, point 23, du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali, C‑185/07, Rec. p. I‑663, point 24, ainsi que du 28 avril 2009, Apostolides, C‑420/07, non encore publié au Recueil, point 73). Il ne saurait être fait application, au sein de l’Union, des règles de reconnaissance et d’exécution prévues par les conventions spéciales visées à l’article 71 du règlement n° 44/2001 que dans la mesure où ces principes sont respectés.

55      Eu égard au principe de confiance réciproque susvisé, la Cour a précisé que la juridiction de l’État requis n’est, en aucun cas, mieux placée que la juridiction de l’État d’origine pour se prononcer sur la compétence de cette dernière. Dès lors, le règlement n° 44/2001 n’autorise pas, en dehors de quelques exceptions limitées, le contrôle de la compétence d’une juridiction d’un État membre par une juridiction d’un autre État membre (arrêt Allianz et Generali Assicurazioni Generali, précité, point 29 et jurisprudence citée). Par conséquent, l’article 31, paragraphe 3, de la CMR ne saurait être appliqué au sein de l’Union que s’il permet d’atteindre les objectifs de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale ainsi que de la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union dans des conditions au moins aussi favorables que celles résultant de l’application du règlement n° 44/2001.

56      Au vu de tout ce qui précède, il convient de répondre aux première et cinquième questions que l’article 71 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans une affaire telle que celle au principal, les règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution prévues par une convention spéciale, telles que la règle de litispendance énoncée à l’article 31, paragraphe 2, de la CMR et celle relative à la force exécutoire énoncée à l’article 31, paragraphe 3, de cette convention, s’appliquent, à condition qu’elles présentent un haut degré de prévisibilité, facilitent une bonne administration de la justice et permettent de réduire au maximum le risque de procédures concurrentes, et qu’elles assurent, dans des conditions au moins aussi favorables que celles prévues par ledit règlement, la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale et la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union (favor executionis).

 Sur l’interprétation de l’article 31 de la CMR

57      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si la Cour est compétente pour interpréter l’article 31 de la CMR. Dans l’hypothèse où cette question appellerait une réponse affirmative, ladite juridiction sollicite, par ses troisième, quatrième et sixième questions, des interprétations concrètes de cet article.

 Sur la deuxième question

58      Eu égard au fait que la CMR ne contient pas de clause attribuant une compétence à la Cour, cette dernière ne peut fournir les interprétations sollicitées de l’article 31 de la CMR que si un tel exercice de ses fonctions relève de l’article 267 TFUE.

59      Or, il est de jurisprudence constante que le pouvoir de donner des interprétations à titre préjudiciel, tel qu’il découle de cette disposition, ne s’étend qu’aux normes qui font partie du droit de l’Union (voir en ce sens, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, Giloy, C‑130/95, Rec. p. I‑4291, point 21; du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 63, ainsi que du 1er juin 2006, innoventif, C‑453/04, Rec. p. I‑4929, point 29).

60      S’agissant d’accords internationaux, il est constant que ceux conclus par l’Union font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et peuvent donc faire l’objet d’une demande de décision préjudicielle (voir en ce sens, notamment, arrêts du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, Rec. p. 449, points 3 à 6; du 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, Rec. p. 3719, point 7, et du 11 septembre 2007, Merck Genéricos – Produtos Farmacêuticos, C‑431/05, Rec. p. I‑7001, point 31).

61      En revanche, la Cour n’est, en principe, pas compétente pour interpréter, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, des accords internationaux conclus entre des États membres et des États tiers (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 1973, Vandeweghe e.a., 130/73, Rec. p. 1329, point 2; ordonnance du 12 novembre 1998, Hartmann, C‑162/98, Rec. p. I‑7083, point 9, ainsi que arrêt Bogiatzi, précité, point 24).

62      C’est seulement lorsque et dans la mesure où l’Union a assumé les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application d’une convention internationale non conclue par l’Union et que, par conséquent, les dispositions de cette convention ont pour effet de lier l’Union que la Cour est compétente pour interpréter une telle convention (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., 21/72 à 24/72, Rec. p. 1219, point 18; du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C‑308/06, Rec. p. I‑4057, point 48, ainsi que Bogiatzi, précité, point 25). En l’espèce, toutefois, il ne saurait être affirmé que les règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution prévues par la CMR lient l’Union. Il ressort, bien au contraire, de l’interprétation de l’article 71 du règlement n° 44/2001 fournie dans le présent arrêt qu’il ne peut être fait application, au sein de l’Union, de ces règles prévues par la CMR que dans le respect des principes sous-tendant ledit règlement.

63      Au vu ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que la Cour n’est pas compétente pour interpréter l’article 31 de la CMR.

 Sur les troisième, quatrième et sixième questions

64      Eu égard à la réponse donnée à la deuxième question, il n’y a pas lieu pour la Cour de répondre aux troisième, quatrième et sixième questions.

 

 Sur les dépens

 

65      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      L’article 71 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, dans une affaire telle que celle au principal, les règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution prévues par une convention relative à une matière particulière, telles que la règle de litispendance énoncée à l’article 31, paragraphe 2, de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole signé à Genève le 5 juillet 1978, et celle relative à la force exécutoire énoncée à l’article 31, paragraphe 3, de cette convention, s’appliquent, à condition qu’elles présentent un haut degré de prévisibilité, facilitent une bonne administration de la justice et permettent de réduire au maximum le risque de procédures concurrentes, et qu’elles assurent, dans des conditions au moins aussi favorables que celles prévues par ledit règlement, la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale et la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union (favor executionis).

2)      La Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente pour interpréter l’article 31 de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, telle que modifiée.

Signatures


 Langue de procédure: le néerlandais.

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